L’Alfa Romeo Giulietta Sprint a 70 ans ! Entretien avec Laurent Bonnery et David Toledano, propriétaires passionnés et spécialistes de la marque.
Les années 1950 sont cruciales dans l’histoire d’Alfa Romeo. Au début de cette décennie, entre 1950 et 1951, le constructeur italien remporte en effet les deux premiers championnats du monde de Formule 1. Dans la continuité de ces deux titres, deux ingénieurs, Orazio Satta Puliga et Giuseppe Busso, se chargent de développer un nouveau modèle de série. C’est en 1954 qu’un petit coupé voit le jour, appelé Giulietta Sprint. Une voiture encore emblématique aujourd’hui.
Laurent Bonnery, propriétaire d’un modèle de 1962, et David Toledano, spécialiste de la marque, nous en apprennent plus sur l’histoire de l’Alfa Romeo Giulietta Sprint mais aussi sur les plaisirs de conduites qu’elle procure.
« Toutes les fées se sont penchées sur le berceau de l’Alfa Romeo Giulietta Sprint », estime Laurent Bonnery
C’est en 1954 que le petit coupé italien est présenté pour la première fois au public. « Très rapidement, c’est l’émeute », explique Laurent Bonnery. Selon lui, « toutes les fées se sont penchées sur le berceau de la Giulietta Sprint. Il faut dire les choses. Elle est sortie avec une ligne à couper le souffle, qui faisait un peu mini Aston Martin, ça a plu à tout le monde ». Mais ça ne s’arrête pas là. Dès sa sortie, elle adopte le fameux moteur Bialbero. Il s’agit d’un quatre cylindres avec double arbre à cames en tête, entièrement en aluminium.
« C’est un moteur hyper poussé techniquement pour l’époque. De série, il y avait peu de modèles qui avaient une telle conception. Ou alors c’était réservé à l’élite de l’automobile. Chez Ferrari, par exemple, il a fallu attendre 1966 pour retrouver une telle motorisation », enchérit, de son côté, David Toledano. « Là, on pouvait, pour un prix beaucoup plus modeste qu’une grande sportive, acquérir une vraie voiture intéressante à conduire et très attachante, avec un moteur très rageur », avance-t-il.
Autre chose très novatrice pour l’époque : la Giulietta Sprint disposait d’un châssis autoporteur. « Il y a peu de voitures qui pouvaient se targuer dans les années 50 d’avoir une coque autoporteuse. Evidemment, c’est resté au sein de la marque », précise le consultant pour la maison d’enchères Artcurial, spécialiste Alfa Romeo, lui même propriétaire d’une Giulia SS.
Elle a servi de base pour de nombreux modèles Alfa Romeo jusqu’à la fin des années 1970
Réussie à tous les points de vue, la Giulietta Sprint a fait entrer la marque italienne dans une nouvelle ère. En effet, c’est « la voiture de laquelle émane toute la série de modèles commercialisés par Alfa Romeo jusqu’à la moitié des années 1970 », indique ce dernier. Ainsi, de celle-ci ont notamment découlé les Giulietta SVZ, Sprint Speciale (SS), ou encore les SZ et SZT de Zagato. Sans oublier le fameux coupé Bertone.
« C’est vraiment une voiture importante dans l’histoire d’Alfa Romeo. Elle marque le début d’une époque qui est probablement la meilleure du constructeur pour les voitures de route », ajoute-t-il. « Elle a permis de vendre beaucoup de berlines et de coupé, d’augmenter la production, tout en gardant un côté extrêmement raffiné au niveau de la mécanique. Grâce à elle, il y a aussi eu beaucoup de victoires en rallye et en circuit », confirme, de son côté, Laurent Bonnery.
Encore aujourd’hui, elle garde une certaine cote. Pour David Toledano, elle mériterait d’être mise plus en avant. « C’est probablement, de toutes les Alfa, la meilleure à acheter et à conduire pour un budget modéré. Pour en avoir une vraiment exceptionnellement belle, on va dépenser 35 000 ou 40 000 euros. ». Il poursuit : « On retrouve vraiment tous les codes des années 50, avec tout ce qu’on aime, c’est-à-dire aucune électronique. Mais aussi un moteur simple, bien conçu, qui dure, facile à régler et à entretenir. Sans oublier le système de freinage qui est simple aussi ou les trains roulants qui sont avancés. »
L’Alfa Romeo Giulietta Sprint « est tout à fait capable de tenir son rang dans la circulation d’aujourd’hui et même de larguer pas mal de bagnoles », sourit Laurent Bonnery
À propos du moteur, ce grand connaisseur des modèles des années 50 et 60 va encore plus loin : « On a envie de l’exploiter au maximum, de rouler tous les jours avec. Il a un son superbe. Il est rageur. À mon sens, c’est un des plus beaux 4 cylindres. Si ce n’est le plus beau 4 cylindres de l’histoire de l’automobile. » D’après lui, sur le marché de l’occasion, pour un modèle de ces années-là, il n’y a rien d’équivalent. « Il n’y a rien qui roule comme ça. Il n’y a pas grand-chose qui est aussi fiable et aussi magnifique à regarder. Finalement, il y a très peu de voitures qui offrent tout ce que je viens de dire », lance-t-il sérieusement.
Ce n’est pas Laurent Bonnery, qui possède une Alfa Romeo Giulietta Sprint 1300 de 1962 qui va le contredire. Bien au contraire. « Honnêtement, cette voiture c’est un jouet. C’est très amusant à conduire, facile d’utilisation. Elle est tout à fait capable de tenir son rang dans la circulation d’aujourd’hui et même de larguer pas mal de bagnoles. C’est hallucinant », admet-il. « Le son du moteur participe énormément à l’agrément de conduite. On a l’impression qu’on a une vraie voiture de sport. Ça marche vraiment bien. »
Ce collectionneur vivant sur la Côte d’Azur estime que l’on peut partir sans problèmes en vacances avec un tel véhicule. « On peut l’utiliser sans problème par les températures qu’il fait en ce moment. Même dans les embouteillages. Ce n’est pas une voiture qui chauffe parce que le ventilateur tourne en permanence. Puis, le moteur en alu est très vite refroidi. Surtout, il est relativement performant, répond toujours présent. On peut monter à 120 ou 130 km/h sans forcer », affirme-t-il.
Pour ça, en revanche, il faut très bien l’entretenir. « C’est un bijou. Ce moteur en aluminium va vous demander de la super huile, des super bougies. Il va vous demander d’être utilisé souvent. Il faut le faire chauffer un quart d’heure avant de taper dedans. Voilà, il faut faire attention, ça nécessite le soin comme une voiture de course. Mais si vous ne le savez pas, vous pourrez avoir des surprises », rappelle-t-il.
Tombé amoureux d’Alfa Romeo très jeune grâce au cinéma, sa voiture s’appelle « Romy » en hommage à… Romy Schneider
En tout cas, pour Laurent Bonnery, la Giulietta Sprint est « la plus belle voiture du monde ». Il va même à dire qu’il vit « une grande histoire d’amour » avec. Cette histoire a commencé il y a bien longtemps. En 1979, alors qu’il avait 14 ans, passe le film « Les choses de la vie« , avec Michel Piccoli à la télévision. Tandis que que ses parents lui demandent d’aller se coucher, il reste en cachette pour regarder dans le salon. « Il n’y avait pas de replay à l’époque (rires). Je voulais absolument le voir. »
C’est la qu’une scène le marque plus particulièrement. « J’entends un grand bruit, un gros coup de frein, avec un son de moteur absolument extraordinaire. En fait, c’est l’accident de Michel Piccoli avec son Alfa Romeo Giulietta Sprint, qui est la voiture principale du film », rembobine-t-il. « Ça m’a beaucoup marqué. Je me suis dit que c’est le genre de voiture qui me plairait bien. » Derrière, les années passent. Mais cela ne l’empêche pas de se renseigner énormément sur ce modèle et ainsi de « devenir « Alfiste » dans le coeur ».
Il poursuit : « Toute ma vie je me suis dit que j’aurais un jour une Giulietta Sprint. » Finalement, il a réalisé ce rêve il n’y a pas si longtemps. C’était en 2017. « J’ai tout fait pour en acheter une. Je suis allé la chercher en Normandie. Je la pistais depuis des années et j’ai fini par l’avoir », avoue le collectionneur niçois. Sa voiture est bleu tornado. Jusque là, tout est normal. Mais il a décidé de lui donner un nom. Son petit coupé s’appelle donc « Romy »… en hommage à Romy Schneider. Il a même une photo d’elle sur son tableau de bord. « C’était déjà mon actrice fétiche à l’époque. Surtout, elle joue dans « Les choses de la vie » qui m’a fait devenir « Alfiste ». »
Rouler avec son Alfa Romeo Giulietta Sprint lui donne « la banane » et même « les larmes aux yeux »
À chaque fois qu’il prend le volant, Laurent Bonnery a « la banane ». Mais pas que. « J’ai les larmes aux yeux. C’est extraordinaire, c’est émouvant, on est en liaison directe avec la machine », confie-t-il. La Giulietta Sprint lui permet aussi de vivre quelque peu par procuration dans les années 1950 ou 1960. « J’aurais adoré vivre dans ces années-là à cause de la musique, des fringues, de tout ce qui se passait, des films qu’il y avait à l’époque aussi. Avec cette voiture, j’ai l’impression de toucher ça du doigt. »
De plus, comme il le rappelle, « les Alfa Romeo ont beaucoup joué dans les films ». « Beaucoup de gens célèbres en ont possédé, surtout les Giulietta. Ce sont des séductrices. Ce que je peux dire en tout cas, c’est que les Alfa, à cette époque, étaient faites pour draguer les filles et rouler vite », conclut-il en rigolant.